Elle s’appelle Mélanie Ségard et She had a dream. A 21 ans, son rêve, loin d’être celui de beaucoup de jeunes filles de son âge, est de présenter la météo, d’annoncer aux gens le temps qu’il va faire, d’être une miss météo comme nombre de celles qu’elle a probablement vu défiler à l’écran. Mais Mélanie est trisomique, et si elle souhaite annoncer le temps qu’il fait, c’est aussi et surtout pour rappeler que nos amis trisomiques sont là, qu’ils existent toujours, et qu’ils ont de la joie, des rêves et des choses à nous apprendre.

Mélanie est une rescapée. Elle n’a pas subi le couperet contemporain de nos peurs du handicap génétique. Elle a échappé aux sanctions létales de nos aversions pour la souffrance. Elle a esquivé les charges mortifères de nos appréhensions. En temps normal, quand il est absent, le trisomique est affublé de toutes les souffrances de la condition humaine ; quand il est imaginaire, il connaît mille raisons de vivre malheureux, et aucune d’expérimenter la joie ; quand il est une projection, il est pour nous tous un poids lourd, incertain, et trop dur à porter.

Pourtant, quand les trisomiques sont là, ils nous prennent à revers. Ils mettent à terre nombre de nos pronostics et pire encore, réduisent à néant nos efforts ubuesques à être plus malheureux qu’eux. Sont-ils beaux ? Sont-ils riches ? Ont-ils réussi ? Sont-ils performants ? Sont-ils sexy ? Sont-ils puissants ? Ce qu’on peut dire, c’est qu’ils s’en fichent. Ils n’ont pas le temps, trop préoccupés par le petit rien qui les rendront heureux un moment de plus, jusqu’au suivant. Comme ce job de « miss météo », que les journalistes veulent toutes pour pouvoir vraiment faire de la télévision plus tard. Mélanie a fait de ce petit rien de job son aboutissement. She had a dream, et nous trouvons son rêve formidable.

L’opération « Elle peut le faire ! », rondement menée par l’UNAPEI, me fait du bien. Mélanie peut bien annoncer la pluie, l’orage, le déluge, la tempête, elle me fait du bien. Elle peut sonner la vigilance Orange et Rouge à la fois, pour sûr qu’elle fait du bien. Elle pourrait prédire tremblements de Terre et tsunamis, Dieu qu’elle fait du bien ! Elle pourrait se présenter sans apparat et mettre la Corse en Ile-de-France, elle nous ferait toujours du bien. Elle pourrait lamentablement rater sa prestation, elle fera toujours mille fois plus de bien que toutes les miss météo de l’histoire de la télévision.

Notre société est schizophrène. Elle qui supportait mal qu’un clip puisse montrer des trisomiques heureux, la voici qui fond complètement quand elle se trouve face à eux. Mélanie rayonne d’une envie et d’une joie de vivre que nos sociétés dites « progressistes » connaissent peu, et d’une simplicité qui nous désarme. Le grand paradoxe, c’est que rien ne plaide en faveur d’un trisomique dépisté et prédit à 80%, au point qu’on préfère systématiquement s’en débarrasser, alors qu’une fois parmi nous, nous les découvrons irremplaçables. Malgré elle, Mélanie est lanceuse d’alerte contre la ségrégation de sa génération.

Aujourd’hui, Mélanie, notre nouvelle miss météo, nous annonce que « Demain, il fera beau ». Il fera beau car grâce à elle, nous savons qu’au fond, ce n’est pas tant eux qui ont besoin de nous que nous qui avons besoin d’eux. Un corps handicapé dans un esprit libre ne peut que nous pousser à être meilleurs, nous qui sommes tout l’inverse. Demain, il fera beau, car nous arrêterons de nous terrifier de ce qu’ils ne sont pas, et nous les laisserons parfaire ce que nous sommes vraiment, en dépassant notre propre handicap. Qu’avons-nous à y perdre, sinon nos hédonismes, vacuités et narcissismes ?

On ne peut que souhaiter que d’autres Mélanie viennent à nous demain. Nous n’avons pas tant besoin de miss météo que de rayons de Soleil, et celui-ci est plus vrai que nature. L’handicap du trisomique, c’est l’avantage de ne pas savoir tricher, et de se grimer d’un masque qui fait tomber le nôtre. A force de les éliminer, tôt ou tard, notre survie sera suspendue à la leur. Alors les choses changeront. Il fera beau car les trisomiques pourront vivre avec nous. Joyeusement.

Pierre Martineau