Dans une séquence à ciel ouvert, lors de l’émission « Au tableau » sur C8, Emmanuel Macron s’est livré à sa vision de la famille, que je vous invite à écouter attentivement :

Conforme à une perception toute contemporaine, on est tenté dans un souci de tolérance légère et ouverture d’esprit d’applaudir des deux mains. La multiplicité des formes familiales relève du constat et il serait malvenu de ne pas s’y pencher. Non seulement il s’agit là d’une réalité, mais nous sommes largement sorti de l’anecdotique. Si on souhaite généralement changer les mentalités pour arriver à un résultat, il est vrai que sur cette question, c’est bien davantage le résultat qui a pu changer les mentalités.

Désormais, il n’y a plus à première vue « une » famille mais « des » familles. Le bon vieux modèle « Papa, Maman et les enfants » s’est vu concurrencé par des formes plutôt inattendues de familles appelées « monoparentales » (c’est tout de même plus poétique que famille « éclatée », « séparée » ou « divisée »). Cette nouvelle forme de famille n’est pas le fruit du hasard. La loi autorisant le divorce existe depuis la Révolution Française, et si elle a subit quelques soubressauts, elle est pleinement opérationnelle dans la forme actuelle depuis 1945. Mais ce n’est pas tant cette autorisation qui a délenché sa multiplicité que la sécularisation croissante de notre société. En effet, si l’union d’un homme et d’une femme émanait autrefois de Dieu, y mettre un terme semblait bien moins envisageable qu’une union moderne « à l’amiable » entre deux êtres qui pensent s’aimer.

Désormais, les choses ont profondément changé. Comme le dit si bien Emmanuel Macron « L’idée qu’on est dans la même famille pour toute la vie, c’est pas vrai. » Mais on ne sait plus bien si c’est le résultat d’une volonté de progrès, ou simplement un constat lucide sur la faiblesse structurelle de notre société. S’extasier du constat et en prendre son parti m’apparait un peu hâtif et empêche de décortiquer réellement le phénomène. La multiplication des divorces, qui n’est que la conséquence logique d’un emballement chronique des échecs amoureux, me semble difficilement honorer une civilisation. Dans ce contexte, prôner les multiples formes familiales semble jeter pudiquement le voile de la modernité sur nos ratés exponentiels. Ces échecs de masse n’ont dans la vie des gens rien d’une sinécure, que ce soit pour les protagonistes, pour leurs enfants, et même pour la société qui les accompagne. Quoiqu’on en dise, le divorce souvent considéré comme un moindre mal survient malgré tout dans des conditions parfois évitables, et prétexter qu’aujourd’hui en chaque situation, le divorce fut la bonne solution est un pari audacieux. Plus encore, le nombre de divorces n’est qu’une partie du problème, le concubinage n’ayant pas davantage résolu la question de l’amour indéfectible, quand bien même on se serait soigneusement testés mutuellement un certain temps (jamais assez). Sans jeter la pierre à qui que ce soit (car qui oserait dire que les mystères de l’amour sont d’une simplicité enfantine ?), tout ceci révèle surtout combien nous ne savons pas préparer la jeunesse à s’unir ni à se marier. Scrupuleux de leur enseigner précisément les techniques de pénétration sans risque, nous peinons paradoxalement à les préparer en profondeur à rencontrer l’autre. Vague fruit véreux de Mai 68, la jouissance sans entrave aura oublié qu’on ne confectionne pas un Saint-Honoré avec des malabars.

A ce jeu, nous sommes visiblement de plus en plus bancals, ce qui a un côté plutôt humiliant. Déconvenue d’autant plus pénible que certains autour de nous, un peu trop « vieille école », auront eu l’outrecuidance d’y parvenir. Pourtant, il serait très méprisant à leur égard d’imaginer que ces héros de l’amour ad vitam eternam n’ait profité que de bonnes grâces, coup de chances et force du destin, sans n’avoir usé d’aucun effort pour accéder à leur fin. D’aucun vous diront simplement que le sentiment ne suffira jamais, et que pour aimer toujours, il faut le vouloir souvent.

Pour Emmanuel Macron, « Il y a plusieurs types de familles ». Tellement plusieurs qu’il décide d’embrayer alors sur sa forme « homoparentale ». Si la rime avec « monoparentale » est riche, sa déclinaison est quant à elle plutôt pauvre. D’ailleurs, une telle forme de famille ne pouvait trouver un écho satisfaisant que dans une société où l’union entre un homme et une femme était déjà de piètre qualité, et où vivre « seule » ou « recomposée » désagrègeait déjà amplement la complémentarité des sexes ainsi que la famille qui en découle. Désormais, chacun vit son type de famille comme il peut, peinant à admettre ses limites intrinsèques qu’un autre eut pu corriger. Il est par conséquent naturel qu’entre un rien (famille monoparentale) et un autre similaire (famille homoparentale), la marche à gravir importe finalement peu.

Pour Emmanuel Macron toujours, « Le plus insupportable c’est une famille où les gens ne s’aiment pas ». Devant une telle répartie, on  en vient à se demander ce qu’il préconise. Sa réponse tient un deux mots : séparez-vous ! Lui vient d’une famille divorcée, il vous dira que ce n’est pas grave, qu’on s’en sort quand même. Ne vaut-il mieux pas se séparer que de générer plus de souffrances ? A croire que la séparation n’en génère aucune, et qu’on peut passer de « famille » à « sans famille » avec la joie de Rémi, par une simple signature chez le juge (quoique plus maintenant).

Pourtant, affirmer qu’il y a plusieurs types de famille, c’est prendre une hauteur malvenue. La réalité familiale, ce n’est pas de faire un bilan comptable ou statistiques du nombre de familles bi-parentales hétéronormées ou homoprogressistes, en s’assurant que tous paient les mêmes impôts, héritent des mêmes biens et accèdent « aux mêmes droits ». Ce plan matérialiste oublie de partir de chacun, et d’accepter que quelle que soit son histoire, la famille ne s’exprime qu’au singulier. C’est « ma famille », et ce qui la caractérise, c’est son unicité. Quand il y a famille « monoparentale », il y a avant tout pour l’enfant ses parents qui se séparent, et son parent absent (souvent le père). Quand il y a recomposition, il y a un parent indéniable, et pour l’autre la tentation du « t’es pas mon père ! » quand les choses iront moins bien. Quand il y a famille homoparentale, il y a la lourde question des origines, dont on ne sait pas bien comment ils pourront se dépatouiller, à moins de soigneusement les enfouir pour éviter qu’elle ne surviennent trop facilement. Ils entretiendront alors l’idée d’une société « intolérante » où tout le monde sait qu’avoir deux pères ou deux mères est une histoire pour enfants de moins de 4 ans qui s’avère soit impossible soit incomplète.

Pour Emmanuel Macron, une famille est « un projet d’amour ». Un projet qui s’étudie, s’essaie, se plante, se retente et prend le risque terrible de ne durer qu’un temps. S’il est vrai qu’on peut rater ses projets, peu de gens rêvent de rater cette histoire d’amour, à moins de manquer terriblement d’ambition dans la voie du bonheur. Plus encore, peu de gens souhaitent décemment à un enfant de voir un jour sa famille se séparer. Une telle déflagration dans une vie qui s’élance ne sera jamais un projet. En réalité, la famille n’est absoluement pas un projet d’amour – futur hypothétique -, mais un désir d’amour – véritable et maintenant -. Ancré, il s’élabore jour après jour, et a besoin de beaucoup d’eaux pour se développer, tout en s’enracinant dans la certitude qu’il est le seul, garantie suprême pour les enfants qui en découlent d’un cadre serein et d’une sécurité maximale pour s’épanouir.

Pour Emmanuel Macron, « J’aime mes petits-enfants [ceux de son épouse – nldr] parce que pour moi, c’est les miens » Fort bien ; mais l’essentiel, pour parler de famille, c’est de savoir ce qu’eux-mêmes en disent ? Rien ne peut les obliger à accepter comme tel un être venu de l’extérieur, comme rien ne peut les obliger à oublier un être qui en vient de l’intérieur, à commencer par ceux qui transmettent les gênes biologiques, humains et spirituels, qu’on ne peut ignorer complètement.

Il n’y a pas plusieurs types de famille. Nous avons tous « la mienne », dont les membres sont plus ou moins proches, selon les événements qu’elle vit ou subit. Son histoire part de moi-même, se décline en l’histoire de chacun des êtres qui la composent, et alors qu’elle se présente ainsi, elle me définit en profondeur. J’en ai besoin, et il serait malvenu que d’autres êtres, fussent-ils mes parents biologiques ou adoptifs, m’en écartent volontairement un ou plusieurs morceaux. Bien loin de la tolérance et de l’ouverture d’esprit, ces gens aux intentions louables ont-ils seulement un droit à s’autoriser de telles amputations ?

Pierre Martineau