« En 1954, un film égyptien s’intitulait ‘Hassan, Marcus et Cohen’. La comédie mettait en scène un musulman, un chrétien et un juif. En 2008, un nouveau film sort, intitulé ‘Hassan et Marcus’. (…) Dans 50 ans, j’ai l’impression que la suite s’intitulera juste ‘Hassan’ »

C’est ainsi que Samuel Tadros termine son article dans le New York Times suite à l’attentat perpetré par l’Etat Islamique envers les coptes en Egypte. Une conclusion des plus inquiétantes, en écho à ce qui lui était confié sur Facebook : « A ce rythme, il n’y aura plus de Coptes dans 100 ans ».

C’est en se rendant au monastère de Saint-Samuel-Le-Confesseur le vendredi 26 Mai dernier que le bus remplis de chrétiens a été pris d’assaut. La route pour y parvenir est longue et difficile, et les assaillants ont patiemment attendu qu’un bus se présentent, certains qu’ils contiendraient des chrétiens coptes. Ils les ont finalement peu épargnés, quand on sait que 29 personnes, dont beaucoup d’enfants, ont péri dans l’attaque tandis que 22 autres rentraient blessés.

Les Coptes se savent en danger depuis de nombreux mois, eux qui prennent grandement leur part au martyr chrétien. Déjà en Février 2016, 21 d’entre eux étaient scéniquement exécutés. Les fêtes de la fin d’année 2016 ont elles aussi été entâchées du sang des victimes d’attentats contre deux églises de leur communauté. Aujourd’hui, comment peuvent-ils percevoir autre chose que d’autres attaques, d’autres attentats et d’autres morts ?

Quelques jours après l’attentat de Manchester, où un public pour une bonne part jeune et adolescent venait écouter la musique creuse et consensuelle d’Ariana Grande, les deux attaques se répondent l’une l’autre, victime d’un ennemi commun, dans une perspective pourtant peu commune. Bien sûr, chaque victime est une victime de trop, et pourtant, il y a un étrange amalgame qui s’opère dans l’esprit des combattants de Daesh qui n’a rien d’une évidence à nos contemporains. Alors que se succèdent les attentats partout dans le monde, nous nous enferrons dans l’idée que Daesh s’en prendraient à nos modes de vie, notre façon d’être et plus généralement notre humanisme universel. Persuadés d’avoir identifié là de bonnes raisons, nous ne voyons pas combien ils nous amalgament avec, par exemple, les Coptes d’Egypte. Notre société refuse de voir que le Bataclan, le Père Hamel, Manchester, ou Saint-Samuel-Le-Confesseur représente pour notre ennemi une seule et unique cible, objet de leur haine. Ce qu’ils abhorrent, ce n’est pas l’occident joueur, nihiliste et humaniste (et finalement de moins en moins consistant), mais l’occident historiquement judéo-chrétien, et selon eux, ennemi de l’Islam.

Pourtant, au moment de tuer, l’islamiste ne s’y trompe pas. Ils opèrent quelque peu différemment dans l’un ou l’autre des cas. A-t-on demandé à chaque victime de Manchester de se convertir, ou de renier leur foi ? Bien sûr que non. Cela n’arrive que si la victime est clairement identifiée comme chrétienne. Ce fut le cas du Père Hamel, et c’est le cas de ces Coptes. C’est la foi qui les obsède, et non l’absence de foi. C’est parce qu’il existe une allégence, plus encore si elle est chrétienne, que la haine s’exprime de façon encore plus virulante.

L’exécution de ces martyrs, et ses conséquences, sont sans doute une des grandes choses qui s’opère dans notre époque troublée. Là où nous nous entêtons à compter nos morts pour rien, nous révélons malgré nous combien ce qui nous manque le plus est une transcendance. Sans transcendance, il n’est pas possible de glorifier les morts, et de finalement transcender la mort. Cette transcendance qu’on s’est attaché à détruire des années durant et qui nous rend aujourd’hui impuissant à leur donner du sens, à les dépasser et même les éviter. C’est pourtant cette même transcendance qui nourrit les Coptes, persécutés, et qui leur assure à eux d’être toujours là dans 100 ans. Car comment aurions-nous la prétention de croire que le Christ ne serait plus avec eux quand nous revendiquons qu’Ariana Grande soit toujours avec nous ?

En Europe, ils s’en prennent à nos cafés, nos salles de concerts et nos aéroports. Des lieux finalement peu chargés de symboles, sinon celui du loisir et du divertissement. Chez eux, ils s’attaquent à leurs églises et à leurs monastères, qu’ils s’acharnent à détruire régulièrement partout dans le monde. Au Bataclan, ils découpent les parties génitales de leurs victimes, tandis qu’en Egypte, ils abattent en visant la bouche, la tête et le coeur. Dans des attaques pareillement sanglantes, ils s’en prennent ainsi machinalement à chacun de nos trésors. Pour nous, ils n’ont pour ainsi dire rien de glorieux.

Ainsi, à chaque Copte il aura été demandé de renier sa foi en Jésus ; et qui s’y est refusé aura été exécuté d’une ou plusieurs balles. Si l’ennemi a le sens du symbole, il peine surtout à voir combien ils fabriquent eux-mêmes la gloire et l’honneur de la religion qu’ils combattent. Toujours aussi lâches, ils s’en prennent à des vieux, des jeunes, des enfants. Ils ignorent combien les plus petits sont les premiers dans le royaume de Dieu, et combien leur martyre portera les chrétiens à s’unir à eux. A l’image du Père Hamel, martyr éclatant face aux misérables qui l’assassinèrent, les Coptes poursuivent dans leur chair ce qui manque aux souffrances du Christ. Eux donnent tout pour Lui, preuve d’un grand Amour dont les islamistes ne connaissent rien.

En Février dernier, l’Etat Islamique invitaient dans une vidéo à intensifier les attaques envers les Coptes, qu’ils désignaient comme « leurs proies favorites ». Cet honneur, que nous n’avons pas, les place en première ligne pour souffrir et endurer la même guerre que nous, pour nous. Si Daesh a décidé d’en faire nos martyrs, il serait bon que nous ne les oublions pas. Plus encore, nous savons que là-haut, les favoris de Daesh seront les préférés du Père.

Pierre Martineau