Quelle est cette étrange nouvelle qui émane de la paroisse Lyon-Centre, où le père David Gréa a procédé à un aveu des plus perturbants ? En charge de la paroisse depuis près de 6 ans, quoiqu’on en pense, il a suscité, accompagné des frères Pouzin (alias Glorious), un certain engouement et une certaine admiration. Parvenir à « attirer les jeunes » (expression multi-décennaire dans l’Eglise) relève tellement de l’exploit pour une église ankylosée qu’on ne pouvait que saluer la performance. De fait, les jeunes s’y sentent bien, et si le flirt avec une certaine mondanité a de quoi perturber, il serait présomptueux de mal juger et la profondeur de leur foi, et l’action de l’Esprit-Saint. Moi qui goûte assez peu de la pop-louange et parfois dérouté qu’elle aille si peu en profondeur, il est malgré tout bien des choses qu’on entendrait à l’Eglise Sainte Blandine qu’il eut été bon qu’on proclame ailleurs.

Mais devant la volte-face du Père Gréa, on ne peut qu’être atteint d’un profond scepticisme, tant il semble relever d’une incohérence des plus emblématiques. Si l’Esprit-Saint souffle où Il veut, il est facile de s’en glorifier quand Il ne souffle pas. C’est bien là toute la limite de l’apostolat aux dimensions purement charismatiques, qui loin de susciter en moi des réticences, n’en est pas moins soumis à ses propres contradictions. A voir Dieu partout, on ne voit plus Dieu nulle part, et il semblerait qu’un profond fatras de sentiments divins viennent obscurcir notre ami prêtre, au point d’altérer au plus profond de son être le grandiose de l’Amour de Dieu.

On ne saurait qu’approuver l’encouragement du diocèse à le retirer de la vie paroissiale pour aller méditer et discerner dans Son Cœur la nature même de son sacerdoce et de sa vocation. Bien sûr, le diocèse aurait gagné à rendre sa retraite moins démonstrative, à l’heure où retentissent fort encore les timides mesures face au Père Preynat. Pourtant, il serait basse besogne que de comparer les deux affaires, bien qu’elles portent toutes deux un poignard dans le dos de l’Eglise Sainte. Pour moi, qui fut mis à l’épreuve par un Dieu fort malicieux face à mon désir de Lui et à mon désir de famille, je ne puis qu’être meurtri qu’on puisse s’engager dans la voie du célibat consacré et sacerdotal sans en mesurer pleinement la quintessence. Le célibat consacré n’est pas un artifice, il est l’expression perpétuelle du don total au Christ, qui confère ainsi au prêtre la voie de son Salut, dans lequel il précipite ses fidèles avec lui. Puisqu’il répond à sa nature profonde, il lui apporte à la fois l’exigence et la satisfaction que lui confère sa vocation. Parce qu’il relève de l’être et non de l’avoir, parce qu’il se greffe au désir et non à l’envie, il est immuable ici-bas, n’en déplaise aux hésitants. Oserait-on appliquer à Dieu cette même dialectique pour l’union d’un homme et d’une femme ?

Ainsi, moi qui me suis marié, vais-je pouvoir dire un jour à ma femme que je sens en moi un appel de Dieu à être prêtre, Lui qui l’a mise sur mon chemin comme personne, joyau qui m’était réservé ? Dieu est-il blagueur à ce point qu’Il ne compte pour rien le lien qui nous unit et les enfants qui en jaillissent ? Est-ce donc un Dieu si indécis pour qu’Il vise tantôt mon bonheur par mon don plein et entier à elle, tantôt par un hypothétique nouveau sacerdoce ? Et si donc Dieu permet que le « OUI » du Père Gréa soit « peut-être » ou « juste un temps », pourquoi donc mon « OUI » conjugal serait-il moins parcellaire et moins négociable ? En réalité, si le père Gréa croît aux circonvolutions vocationnelles, comment peut-il alors condamner divorces et adultères ? Devant Dieu, c’est du même acabit, et accouche des mêmes souffrances.

Dans un monde à courte vue, où se marier ne relève plus d’un discernement de vocation, mais d’une voie « normale et naturelle » pour qui n’est pas consacré, l’exigeante vocation du futur prêtre est au contraire celle qui le confronte à un nécessaire discernement, le libère, le dissocie du monde, l’en extrait et le rend disponible à la grâce du sacrement. En réalité, nous devrions tous procéder du même mouvement de notre voie naturelle vers notre voie surnaturelle, mais là où nombre d’entre nous, gens mariés, nous nous en dispensons, le prêtre y est quasiment contraint. C’est du moins ce qu’on pouvait en croire.

Je ne sonde pas les reins et les cœurs, et qui suis-je pour juger de la foi du Père Gréa ? Simplement, sa croyance d’une vocation à deux branches (ou plus ?) n’est pas une croissance mais un éclatement. Loin de l’unifier, elle l’abîme. Elle est simplement incompatible avec l’essence de Dieu, et la nature de la vocation. Si donc le Père Gréa et sa « future épouse » sont appelés à la sainteté, ils ne peuvent pas être appelés à s’unir. C’est dur ; c’est terrible ; c’est dévorant. Comme tout ce qui libère.

J’en viens péniblement à dénoncer un trop plein d’orgueil du Père Gréa. N’enlevons rien à ce qu’il a pu faire (et je serais bien en peine d’en juger parfaitement), ni même à ce qu’il a pu dire, ni à l’investissement et le don de lui-même que cela a pu exiger. Attachons-nous simplement à ce qu’il a écrit et prononcé pour expliquer son choix :

Heureux comme prêtre je suis convaincu d’être appelé par Dieu pour ce beau ministère. Il y a quelques temps, j’ai commencé à construire une relation avec une femme avec laquelle je pense que Dieu m’appelle a vivre. Je découvre une joie insoupçonnée qui me semble dans la continuité de ce que j’ai vécu jusque là en me donnant corps et âme à votre service. J’ai souhaité être en vérité avec l’Eglise en disant ma joie d’être prêtre et mon désir de me marier.
(Lettre du Père Gréa lue devant l’assemblée le Dimanche 19 Février)

Sa joie insoupçonnée s’appelle le sentiment, et beaucoup ont renoncé à être saints pour elle. Ce n’est pas rien ; ce n’est pas laid ; c’est juste le foyer qui purifie l’or de notre cœur, c’est-à-dire l’Amour véritable, à condition de ne pas le diluer complètement. Si donc l’incompatibilité entre son projet et sa vocation lui échappe, il nous reste à prier pour lui.

Je n’ai embrassé d’autres femmes que la mienne. Je n’ai touché d’autres peaux que la sienne. Fussent-elles laides, repoussantes ou insupportables pour que je fasse ainsi ? Bien sûr que non. La différence entre le Père Gréa et moi, c’est que depuis le premier jour, je sais que tout ce qui me détournera d’elle des années durant jusqu’à ma mort ne saurait être de Dieu, et que si je m’autorisais à donner suite à d’autres sentiments, ce sera nécessairement après L’avoir mis au placard, et son Amour avec. Dans une telle misère, comment pourrais-je me présenter au Christ, alors que je ne pourrais même plus me regarder en face ?

J’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné.
(Apocalypse 2, 3)

Il reste au Père Gréa à se scruter à la base, à retourner à l’état de graine jetée en terre, à décortiquer son premier amour, et à redécouvrir sa vocation première : la sainteté. Et puisque l’occasion se présente à lui désormais, puisse-t-il par amour de Dieu renoncer à lui-même, prendre sa croix et Le suivre, puisqu’Il le lui demande. La mort à soi-même est un honneur et un calice qui ne se refusent pas.

Pierre Martineau